l'épicière
Ma grand-mère était épicière, elle le resta jusqu’à un âge avancé ! Pour les jeunes générations, être épicier, cela ne veut plus rien dire, ils connaissent uniquement les grandes surfaces périphériques, les caddies poussés joyeusement emplis de marchandises souvent non désirées ! Ces temples de la consommation ont fini par nous lasser, mais il est vrai que les sexagénaires que nous sommes, déclinent lentement vers la sénilité !
Cécile-ainsi s’appelait ma grand-mère - avait fait de la pièce où j’écris, une épicerie de quartier, comme il devait en exister une bonne dizaine dans cette avenue baptisée du nom d’un ancien maire dont le titre de gloire fut d’être le premier maire socialiste de la ville. C’était, il y a bien longtemps ; Cécile, elle, s’est installée au numéro 41 dans une période de kermesse et de défilés, le Front populaire, victorieux des élections législatives de 1936, laissait croire à des lendemains qui chantent, et, en effet, ils chantèrent quatre ans plus tard quand le vilain moustachu terrorisa un pays soudain conscient de son infériorité militaire !
Cécile était faite pour le commerce, sa prestance, son sens de l’écoute, car dans le petit commerce, il faut savoir écouter (on est le confident d’une armée de ménagères ménopausées, de veuves éplorées et d’orphelins inconsolables) ! Cécile écoutait puis vendait les pâtes Lustucru, l’huile Lesieur et le soda pschitt ; il y avait un immense comptoir en bois sur lequel trônait des boites de conserve, des paquets de gâteau et d’autres présentoirs.
Le magasin était constitué d’étagères en bois, le vin était distribué à la tireuse, chacun apportait sa bouteille qu’il remplissait, mais cette période me semble lointaine puisque j’ai ouvert les yeux dans l’après-guerre finissant. C’était l’année où Fausto dominait de la tête et des épaules, le tour de France cycliste, signant une victoire écrasante dans la montée de l’Alpe d’Huez, c’était également l’année où le gentil moustachu (pas le vilain !) fredonnait dans des cabarets parisiens ses premières chansons !
1952 ne m’a pas laissé de grands souvenirs, c’est une terre vierge, totalement inculte à laquelle rien ne me rattache !
Cécile, je la revois, assise sur une chaise dans un angle du magasin, elle crochetait en attendant le client. Comme avec le temps, celui-ci se faisait plus rare, elle était stoïque, les pieds posés dans une chaufferette en hiver !
Le magasin restait son royaume, dans les années 60, celui-ci ne désemplissait pas. La période que je préférais demeurait celle de Noël, les bonbons au chocolat que Cécile vendait en vrac attiraient ma gourmandise et vidaient les stocks. Je ne sais pas, si pour elle, le commerce était un sacerdoce ou une véritable source de revenus. Quand elle devint veuve de Marius, elle ne songea pas à la retraite, elle poursuivit ce, qui pour elle, devait être sa grande œuvre !
Mon grand-père était né dans le ségala à proximité de la ferme des ancêtres de Balzac. Cécile naquit sur le plateau viracois, à Villeneuve sur vère, un village charmant où le temps semble s’étirer comme un serpent au soleil ! Son père était cordonnier en une époque où les chaussures se transmettaient presque de génération en génération !
Avec Marius, ils découvrirent les joies du mariage en 1912, l’orage grondait, une jeunesse eut le temps de batifoler avant de courir à la guerre !
Je sais peu de chose sur eux, ils étaient secrets, taciturnes sans illusion sans doute sur la race humaine, je pense qu’ils souhaitaient s’élever socialement, à cette époque, la cité minière prospérait et les commerçants remplissaient le bas de laine.
Presque cent ans plus tard, la ville est une cité fantôme, un lieu de pèlerinage pour des nostalgiques des corons et de Jaurès ! Ici, on implore Jaurès quand les récoltes se tarissent, mais le vieux prophète socialiste devient sourd et s’il pointe toujours un doigt vers le paradis des damnés de la terre, il n’est plus dupe de l’illusion perdue ! Jaurès, le dieu païen, fait depuis longtemps figure d’idole chue !